Les émeutes se suivent et se ressemblent.

Scènes d’émeutes en banlieues, des vitrines de commerces brisées, des cocktails molotoff et des pavés jetés sur les forces de l’ordre, des poubelles incendiées ainsi que des voitures, les scènes qui se déroulent actuellement en Grèce rappellent ce qui s’est passé dans nos banlieues en octobre-novembre 2005. D’ailleurs comme en 2005 ces émeutes ont été causées par la mort d’un jeune par un policier, en France c’était la mort de Zyed et de Bouna, dans le cas présent il s’agit de la mort Andreas Grigoropoulos tué par balle par un policier. Cette similitude m’amène à regarder l’histoire des émeutes en banlieue en France, leurs causes et conséquences.

Athènes (Lundi) / Reuters.

Athènes (Lundi) / Reuters.

Samedi 15 septembre 1979, en pénétrant dans la cité de la Grappinière, les policiers lyonnais essuient la première émeute urbaine d’ampleur en France. Ils viennent dans ce quartier de Vaulx-en-Velin pour arrêter un jeune voleur de voitures, sous le coup d’une expulsion. A leur arrivée, Akim tente de s’échapper par un balcon. Puis, se sentant pris, s’ouvre les veines avec un tesson de bouteille. Lorsque les policiers l’embarquent, une bagarre générale éclate. Elle se poursuivra jusqu’à l’hôpital.

C’est en 1981, que les émeutes commencent à prendre vraiment de l’ampleur. C’est l’époque des rodéos, des voitures volées qui tournent dans les quartiers de Villeurbanne, Vaulx-en-Velin et Vénissieux avant d’être incendiées.

Le sociologue Ahmed Boubeker parle d’une génération qui prend alors conscience d’un « sort partagé ». Son émergence dans l’espace public, via les émeutes, sera d’autant plus brutale qu’elle rompt avec l’invisibilité de la première génération immigrée.

En 1982, plusieurs jeunes sont victimes de crimes racistes dans l’agglomération lyonnaise. Ahmed Boutelja, de Bron, est tué de trois balles dans le dos. Six mois plus tard, son meurtrier retrouve la liberté. Sa libération provoque des tensions dans les cités alentours. Les Minguettes deviennent électriques. Le 21 mars 1983, une partie du plateau se soulève après une descente policière. C’est dans ce contexte que se crée SOS avenir Minguettes, avec l’aide de Christian Delorme, prêtre d’une ville voisine, baptisé « le curé des Minguettes ». Trois mois plus tard, le président de l’association, Toumi Djaïdja, se fait tirer dessus par un policier alors qu’il essaie d’empêcher un chien de mordre le mollet d’un ado. Les Minguettes s’enflamment de nouveau. Mais depuis son lit l’hôpital, Toumi propose d’arrêter les violences en lançant une marche pour l’égalité. Elle se transforme en marche des beurs à l’arrivée à Paris. L’année suivante, SOS Racisme organise une sorte de remake de la marche des beurs, mais à mobylette, avec pour slogan « la France c’est comme une mobylette, pour avancer, il lui faut du mélange ».  »Les beurs » se sentent marginalisés dans une organisation qui est devenue politique.

En réponse à cette première période d’émeutes naît la politique de la ville. Apparaissent donc les programmes de développements social des quartiers, les Zones d’Educations Prioritaires d’Alain Savary et une mission « Banlieue 89 » est confiée à Roland Castro. Les cités bénéficient d’opérations de développement social urbain et de réhabilitations massives. Le 29 septembre 1990, Vaulx-en-Velin inaugure une crèche, une bibliothèque, des immeubles rénovés et un centre commercial tout neuf. Une semaine plus tard, une voiture de police barre la route d’une moto volée. Le passager est tué. Des heurts très violents opposent jeunes et policiers, puis le nouveau centre commercial est pillé, incendié. C’est après les événements de Vaulx-en-Velin que François Mitterrand nommera un premier Ministre de la Ville, Michel Delbarre.

Dans les années 90, c’est au tour des banlieues parisiennes de se soulever. Les émeutes se déplacent rapidement en région parisienne. En mars 1991, à Sartrouville, un vigile tue un adolescent qui venait de voler une bouteille de whisky dans une cafétéria. La cité des Indes se soulève. Les émeutes durent plusieurs jours, débordent largement du quartier. « La politique en banlieue, soupire le sociologue Ahmed Boubeker, c’est un éternel avortement. »

Après Sartrouville, les Mureaux, le Val-Fourré. A Mantes-la-Jolie, un jeune homme meurt le 25 mai d’une crise d’asthme dans le commissariat local. Une fois encore c’est la mort d’un jeune qui va mettre le feu à une banlieue. Le quartier se soulève.

L’année suivante, en juillet 1992, juste après le lourd conflit routier qui avait paralysé la France, des émeutes éclatent dans de petites cités, en Essonne notamment. De 1994 à 1999, les Tarterêts connaissent des échauffourées presque chaque semaine. Cet émiettement est caractéristique de la fin des années 90. Les émeutes deviennent nombreuses, diffuses. Les plus petites villes sont touchées. Les explosions sont souvent ponctuelles, après la mort violente d’un jeune habitant. A Nanterre (1995), Châteauroux (1996), Lyon (1997), Toulouse (1998), Vauvert (1999), Lille (2000), Metz (2001), Evreux (2002), Avignon (2003), Bobigny (2004), les incidents bégaient. Comme si une culture de l’émeute avait été transmise, tel un virus, et s’était installée. La réponse a pratiquement toujours été la politique de la ville, par exemple la création des zones urbaines sensibles en 1996. Puis trois ans plus tard apparaissent les grands projets de ville. En 2000, c’est la loi SRU qui recherche la mixité sociale avec obligation d’un pourcentage de 20% de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) comprises dans une agglomération de plus de 50 000 habitants, comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants.

Val d'Oise (27/11/07)

Val d'Oise (27/11/07)

Quand le 27 octobre 2005, deux jeunes de 15 et 17 ans fuyant la police meurent électrocutés, tout laissait présager les événements qui suivirent. Pourtant nous avons tous été surpris par la violence des affrontements. Jusqu’au 17 novembre, 10.000 véhicules sont détruits et plus de deux cents bâtiments publics incendiés. Depuis ces émeutes, nous pouvons noter des agressions de policiers aux Tarterêts (Essonne) et aux Mureaux (Yvelines), en septembre et en octobre 2006 ; des incendies de bus à Grigny (Essonne), Marseille ou Trappes (Yvelines) en novembre 2006 ; les violences urbaines de Cergy en juin 2007,… Jusqu’au échauffourées de novembre 2007 à Villiers-le-Bel (Val d’Oise) qui ont suivi la mort de deux jeunes dont la moto a été heurtée par une voiture de police. L’utilisation de balles réelles par les émeutiers a marqué une nouvelle étape dans les violences en banlieue.

A une même cause, une même conséquence. Les émeutes tragiques qui secouent actuellement la Grèce prennent un air cynique de fatalité.

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