Coluche, un film bien triste…

Après avoir travaillé deux années sur la candidature de Coluche à l’élection présidentielle de 1981 et avoir pondu quelque trois cents pages sur le sujet, j’étais particulièrement impatient de découvrir le film d’Antoine de Caunes.

Je me suis donc rendu à la première séance ce matin pour me faire un avis sur « Coluche, l’histoire d’un mec ». Muni d’un cahier et d’un stylo, je me suis décidé à prendre quelques notes pour ne rien oublier de ce que je pourrais voir dans cette immense salle obscure où treize autres spectateurs avaient fait le déplacement. Après une petite demi-heure d’attente, le rugissement de la Harley se faisait enfin entendre, le film commençait. C’était parti pour une 1 h 45 d’un film retraçant huit mois de la vie de l’un des humoristes préférés des Français.

Première surprise, Antoine de Caunes a choisi de présenter tout au long du film des marqueurs temporels. Ainsi s’affiche en bas de l’écran la date à laquelle la scène est censée avoir eu lieu. Si je parle de surprise, c’est parce que la première date est tout simplement fantaisiste tellement elle est erronée. Selon lui, Coluche aurait pris la décision de se présenter à l’élection présidentielle le 29 septembre 1980… Pourquoi cette date ? Sincèrement je l’ignore. Le 27 mars 1980, Coluche déclarait déjà dans les colonnes du Monde : « Je vais probablement me présenter aux élections présidentielles. Comme candidat nul, pour faire voter les non-votants. Mon argument principal sera ne pas être élu. » S’il demeure un débat sur la genèse de cette idée de candidature, il y a un accord sur le fait que Coluche ait pris cette décision sur les conseils de son ami Romain Goupil après qu’il eut été licencié de Radio Monte-Carlo le 5 février 1980.

Est-ce une simple erreur de date liée à un impératif de concision du film ? Peut-être. Mais ce n’est pas vraiment la seule date erronée dans ce film. Si la chronologie est plutôt respectée plusieurs erreurs (mineures ?) sont toutefois à relever. A la date du 7 novembre 1980, le Pr Choron (Gil Galliot) évoque un numéro de Charlie Hebdo en fait sorti le 3 décembre, trois jours plus tard on nous montre la une du Nouvel Observateur en fait paru une semaine après. On nous parle d’un sondage plaçant Coluche à 12,5 % le 15 novembre, en fait il a été révélé le 2 décembre. Entre le 8 décembre et le 14 décembre, Coluche aurait été victime de censure à Radio 7, au Collaro Show et aurait été la cible de L’Express et du journal d’extrême droite Minute. Si ces événements ont bel et bien eu lieu, c’était plutôt entre le 2 et le 31 décembre (la plupart d’ailleurs entre le 27 et le 31 décembre)… Ces erreurs peuvent paraître illusoires, mais elle pose tout de même la question de l’intérêt d’afficher clairement une chronologie quand on ne respecte pas celle des vrais événements…

Pour moi la vraie question soulevée par ce film repose sur l’intérêt de présenter une vision aussi noire de l’humoriste. S’il est vrai que cette campagne va faire basculer Coluche dans la tourmente, qu’il va vivre une période très difficile de sa vie où « sauf erreur ou omission » il va goûter à toutes les drogues existantes, était-il pour autant opportun de nous servir un film aussi sombre sur un des comiques préférés des Français ?

Le caractère triste de ce film permet parfois de révéler la vraie nature de la campagne de l’humoriste, cependant, il y a des scènes exagérées qui ne servent qu’à rendre l’histoire encore plus triste, encore plus noire. Commençons. Parmi les premières scènes du film, l’une m’a particulièrement surprises. Quel intérêt de montrer Coluche se défaussant sur des enfants après avoir cassé un carreau d’une voisine de sa mère en jouant au football ? J’ai personnellement trouvé cette scène un peu gratuite et sans véritable sens ni intérêt. Passons. Quelques minutes plus tard, on nous présente Coluche rencontrant Brice Lalonde (candidat écologiste) et une fois encore on axe la parole de l’humoriste sur son plus mauvais aspect. S’il est difficile de nier que Coluche a pu pendant cette campagne tenir des propos que l’on qualifie habituellement de populistes, est-il juste de lui faire dire dans le film « la terre ça ne ment pas » titre d’une célèbre chanson pétainiste. Je ne vais pas décrire tout le scénario, mais notons par exemple que, quelques scènes après, on voit Coluche tomber dans les pommes après avoir fumé un joint… Cela fait un peu beaucoup, non ?

Parfois, je le disais, le noir est de rigueur comme cette scène totalement pathétique où Coluche invite quelques petits candidats à se joindre à lui au théâtre du Gymnase. La scène dans le film est pathétique, mais celle de la campagne de l’humoriste ne l’était pas moins. Toutefois, cela n’explique pas pourquoi l’on fait silence sur des éléments plus festifs de cette campagne. Pourquoi insister sur l’échec de cette fédération des petits candidats, sur le manque de crédibilité de Coluche quand il annonce qu’il a obtenu 632 signatures, alors que l’on ne présente pas la conférence que Coluche a tenue à Polytechnique en janvier 1981 ? Conférence à laquelle il a démontré l’étendue de son talent en provoquant l’hilarité des « X »… Pas étonnant que Paul Lederman ait cherché à empêcher la sortie de ce film, lui qui est teneur de l’idée que cette campagne n’a toujours été qu’une immense blague…

Un autre point m’a quelque peu dérangé dans ce film, et notamment dans la bande annonce du film. Il s’agit de l’utilisation des sondages. J’évoquais tout à l’heure un sondage qui présente Coluche à 12,5 %. Le film (et la bande annonce) se centre sur un sondage qui créditerait Coluche de 16 % d’intention de vote. Ce sondage n’a pourtant jamais existé, et il est évident que ni Coluche ni son entourage n’ont jamais songé à réaliser ce score. Le sondage qui évoque ce chiffre de 16 % est paru dans Le Journal du dimanche du 14 décembre 1980, mais il ne représente pas des intentions de vote, mais des personnes qui ont eu envie de voter pour Coluche. Le journaliste écrivait d’ailleurs : «  la question n’est plus ’’Pour qui allez-vous voter ?’’, qui traduit une intention ferme, mais ’’Avez-vous envie de voter pour Coluche ?’’, qui peut révéler, indifféremment, une intention, une foucade, un geste de mauvaise humeur, un substitut au désintérêt de la politique qui, en d’autres temps, se traduirait par une abstention pure et simple. La réponse n’engage pas la personne sondée. La question a été posée de façon à obtenir le maximum de réponses favorables à Coluche. »

Un autre point contestable du film c’est qu’à la date du 16 janvier 1981, on voit Coluche désespéré de ne pas réussir à réunir les signatures nécessaires pour se présenter, quelques scènes plus tard la même idée est encore mise en avant. Pourtant, quand on étudie cette candidature force est de constater que Coluche n’a jamais vraiment cherché à obtenir ces signatures en question. Il avait d’ailleurs demandé aux comités de soutien de ne pas chercher à les obtenir… Il aurait en fait simplement rencontré un ou deux maires pour un reportage paru dans VSD début novembre 1980, c’est tout…

Faut-il pour autant tout jeter dans ce film ? Pas vraiment ! Si François-Xavier Demaison ne bénéficie pas tout à fait de la même ressemblance avec Coluche que Marion Cotillard avec Edith Piaf dans La Môme, son jeu d’acteur n’en reste pas moins irréprochable. Toutes les scènes qui se déroulent dans l’enceinte du théâtre du Gymnase sont de vraies réussites, on croirait vraiment voir Coluche sur scène. Le film permet aussi de comprendre les souffrances que cette candidature a pu infliger à l’humoriste et peut se targuer de quelques réussites comme la ressemblance ébouriffante du Pr Choron avec son personnage et de Jacques Attali et son double. Toutefois ceci ne réussit pas à sauver ce film qui ne voulant pas tomber dans l’hagiographie n’a pas hésité à présenter un clown triste, très triste, peut-être trop triste ? Il sera, enfin, difficile d’apprécier le film sans une vraie connaissance de ce qu’était la campagne de Coluche, les oublis et raccourcis sont tellement nombreux que parfois on ne comprend pas tout. Par exemple, et j’en finirai là, le scénario évoque les censures à répétition dont a été victime Coluche, puis quelques scènes plus tard Coluche annonce une grève de la faim (en regardant le film on n’en comprend d’ailleurs pas trop la raison) devant de nombreux journalistes, étrange pour quelqu’un de censuré ? (Ce qui n’est pas dit dans le film, c’est que la présence de tous ces journalistes est en fait justifiée par le fait qu’ils pensaient que Coluche allait annoncer son retrait de la campagne…).

En un mot, un « biopic » un peu surprenant puisqu’il réussit l’incroyable pari d’être consacré à un comique tout en n’étant absolument pas drôle. Loin d’être un film familial, Coluche, l’histoire d’un mec entre dans la catégorie des « comédies dramatiques ». Un film trop orienté, pas assez rigoureux chronologiquement et trop sombre pour être crédible malgré un casting irréprochable.

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7 Responses to Coluche, un film bien triste…

  1. Voilà qui ne donne pas envie. Déjà loin d’être un grand réalisateur, DeCaunes, comique de télé souvent mélancolique et taciturne, a peut être réalisé sa biographie sous l’égide de celle de Coluche…

  2. Jerome dit :

    j’ai aussi trouvé le film bien triste et exagéré. Merci d’avoir recadré la vérité avec ce blog.

  3. jean patrick dit :

    Je trouve cette analyse pertinente sur les erreurs chronologiques du film. Malgré tout la volonté de rendre le film sombre (pas tant que ça en fait) est une volonté de base de raconter l’histoire d’un mec et non pas de l’humoriste préféré des français en cela De Caunes a réussi son pari. L’homme derrière le personnage cela reste intéressant même si le film n’est pas exempt de défauts.
    Tout de même une analyse très intéressante d’un point de vue historique.

  4. Laurent dit :

    Dieu qu’il est bon que tu sois de retour. Et que tu aies de nouveau aiguisé ta plume 🙂

  5. Kaherk dit :

    Ah ah ah ah ah… Une disserte de collégien…

    (oh mon dieu il y a des inexactitudes !)… et alors ?

    (oh la la c’est un film triste, pas du tout familial, c’est vraiment horrible, ça handicape tout le film)… et alors ? les comiques ne sont-ils pas les plus grands désespérés ?

    Et le plus drôle de ce post : « un film trop orienté ». Parce que c’est devenu un crime d’avoir un point de vue ? C’est terrible, de dire ça, je veux dire, la défaite de la pensée, on est en plein dedans, là.

    Non le plus drôle c’est en fait la critique : « oh la la Demaison ne ressemble pas autant à Coluche que Cotillard à Piaf »… ce qui veut donc dire que la qualité d’une interprétation se mesure à l’aune d’une ressemblance.

    En gros, que le cinéma, c’est un spectacle de cirque… « attention mesdames et messieurs, le sosie de Piaf ! » (et tout le monde applaudit, comme à C’est mon choix spéciale « sosies »)

    Désolé j’ai l’air hargneux, mais cette critique me fait bondir, uniquement pour ses raisonnements, parce que je n’ai pas vu le film, et que je ne suis pas persuadé de l’aimer. Ce n’est donc pas pour défendre un film, mais combattre la paresse intellectuelle.

  6. […] que celle-ci a attiré toute mon attention ! Les fidèles lecteurs savent à quel point je suis attaché à l’œuvre de Coluche, les autres comprendront que cet article est une goute d’eau pour qu’enfin […]

  7. […] vocabulaire cinématographique après le succès de La Môme et les tentatives qui ont suivi dont le très mauvais Coluche de De Caunes, et ceux sur Mesrine, Spaggiari,… Ce terme a une traduction officielle depuis le 27 novembre […]

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